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Carnet de notes
3 janvier 2010

Coups de Google

Avez-vous, au moins une fois, rien qu’une fois, mû par une poussée de narcissisme, cherché à vous mirer dans le regard numérique des autres ?  Vous êtes-vous déjà attardé, au hasard d’un moment d’oisiveté, au gré de vos pérégrinations digitales, à vous adonner à cette étrange activité, à cet exercice fascinant ? N’avez-vous jamais été pris de cet accès de curiosité ? De découvrir, peut-être, cet autre vous, avatar potentiel, qui écume le réseau en votre nom ? Ce flux d’informations incontrôlé qui nourrit l’appétit insatiable de la toile ? Vous êtes-vous déjà, en un mot, « googlisé » ?

Googliser. Le mot est en passe de devenir un verbe officiel, il se fait une place au panthéon des néologismes technologiques, son entrée dans le dictionnaire ne fait plus guère de doute. De quoi faire monter au créneau tout ce que le pays compte de pourfendeurs d’anglicismes et autres défenseurs acharnés de notre sacro-sainte langue française. D’autant qu’un paradoxe substantiel réside en ce non-évènement, puisqu’un synonyme anachronique, partiel et quelque peu réducteur de googliser pourrait n’être autre que « chercher dans le dictionnaire ». Le dictionnaire introniserait ainsi l’instrument de sa propre fin ?

Passons sur cette ironie du sort. Le temps n'est déjà plus aux tergiversations sur les déboires sémantiques encourus par le recueil normatif de nos écarts de langage. La rapidité de la gestation de l’antonomase brandit l’étendard du succès fulgurant de la marque, et au-delà, de la démocratisation du concept et de toutes les conséquences qui empreignent le quotidien de nos vies d’internautes plus ou moins assidus.

Véritable révolution du rapport à la Connaissance, Google met à portée de tous le savoir humain dans toute son immensité et sa diversité. Tout un chacun, pour peu qu’il soit en mesure de s’offrir une connexion à domicile ou juste de se faire fournir l’accès à Internet de façon plus sporadique,  devient de plus en plus égal devant la diffusion de la connaissance, à mesure que la fracture numérique se réduit.

Cette nouvelle universalité est un formidable coup de pouce à l’égalité de la Société (en) Général(e). Les individus peuvent dorénavant exprimer leur réel potentiel intellectuel indépendamment de tout déterminisme social, puisque la différenciation se fait désormais au niveau des seules idées. Prime à la créativité, au foisonnement spirituel, aux débordements de l’imagination nés de ce bouillonnement culturel d’un nouveau genre.

Tout le monde peut maintenant apporter sa pierre à l’édifice de la sagesse universelle ! Il suffit pour cela de contribuer, d’intégrer le fameux web 2.0.  Système qui, au passage, se prête facilement à la comparaison à une sorte de (e)communisme qui aurait enfin vu le jour, débarrassé de tous les effets pervers inhérents à la lutte des classes. Tout s’y partage, rien ne s’y paie, la propriété (intellectuelle) y est pratiquement abolie, tout le monde participe à l’effort collectif.

Les deux gentils nerds de Standford University, Larry Page et Sergey Brin ont donc largement participé à la création, bien au-delà de leur première intention de faciliter la recherche d’information, d’un nouveau modèle technologique, culturel et social dans sa globalité.

Cependant, la rançon d’un tel succès existe, même si elle reste pour l’instant à l’état de simples hypothèses. Il paraît en effet peu probable que des effets indésirables et gênants ne se manifestent pas. Vous savez, ceux qu’on omet volontairement, sous peine de paranoïa, de lire lorsqu’on est contraint d’avaler quelque médicament.

Sauf que dans le cas de la googlisation de notre société, les effets sont moins flagrants, moins tangibles. Ils se font sentir à plus long terme. Et surtout, il n’y a pas d’obligation juridique de faire figurer sur la notice d’éventuelles mentions légales, du genre:

« Respectez la posologie, un usage trop intense peut provoquer un sentiment de dépendance et des dysfonctionnements conséquentes des mécaniques du cerveau. »

« Une sur-utilisation pourra éventuellement entraîner une diminution importante des capacités mémorielles, accompagnée dans certains cas très rares d’une atrophie irréversible du bulbe rachidien. »

En effet, le moteur de recherche n’est pas seulement un « bien complémentaire » au cerveau, une intelligence auxiliaire, un réacteur de secours actionné seulement en cas de besoin. Utilisé à l’excès, Google pourrait fort aisément se transformer en un « bien substituable », tant son omniprésence dans toute démarche intellectuelle l’a rendu peu à peu indispensable à notre réflexion. Cette externalisation latente de notre matière grise dessine les contours d’un risque d’un genre nouveau : la détérioration des facultés intellectuelles du genre humain par leur désincarnation, sorte de « Cloud braining », par analogie avec le Cloud Computing qui permet d’utiliser les capacités illimitées de dématérialisation d’Internet pour stocker des quantités infinies de données dans un coin de la nébuleuse numérique.  Elle s’accompagne d’ailleurs de son corollaire anti-progressiste, à savoir la résurgence d’une crainte irrationnelle promue par Prométhée, le renversement du rapport de forces entre l’Homme et la machine.

La machine, dans la littérature et le cinéma d’anticipation, est toujours représentée par quelque incarnation physique monstrueuse, tels Frankenstein ou autre Terminator. Mais dans le cas qui fait ici l'objet de notre attention, le danger identifié par Hans Jonas lorsqu’il affirme "la promesse de la technique moderne s'est inversée en menace" est bien moins palpable et plus imprécis, puisqu’il s’agit d’une sorte d’algorithme mutant.

Google, la marque, hégémonique sur presque l’ensemble du globe, semble au dessus de toutes les lois contre la concentration et détient un contrôle de la connaissance sans précédent. Si l’on se fonde sur le paradigme énoncé par le philosophe britannique Francis Bacon, « la connaissance est en elle-même puissance», le simple moteur de recherche mis au point par deux étudiants de Standford serait devenu le gardien d’un trésor inestimable, synonyme d’une puissance aux limites inconnues, pendant systématique de son efficacité au service de la démocratisation du savoir.

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