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Carnet de notes

1 novembre 2011

Etant données les nouvelles données du problème

BIG data, the data deluge, the data revolution, data mining, data cruncher, ces expressions reflètent parfaitement l’internationalité du phénomène. Partout dans le monde donc, toutes les industries sont confrontées à l’explosion de la quantité d’information disponible, à la multiplication des sources, à la surabondance de réponses à des questions dont on ne soupçonnait pas l’existence.

Le rapport à la connaissance en est complètement bouleversé : nous sommes passés d’un système où la rareté de l’information en déterminait la valeur à une situation où la combinaison de la prolifération des sources, de la profusion d’information et de son découpage en particules élémentaires – ou plutôt binaires - ont déplacé le curseur. L’information en tant que telle n’a plus de valeur intrinsèque, c’est l’usage que l’on va en faire qui crée de la valeur. L’information est devenue une matière première de très faible valeur. Martin Sorrell (Président du groupe WPP, 1er groupe de communication du monde) résume parfaitement la situation, lorsqu’il déclare dans une interview au magazine de Google Think Quarterly : « les gens disent que l’information  c’est le pouvoir, mais ce n’est plus le cas. C’est l’analyse, l’utilisation de la donnée, explorer la donnée, c’est ça le pouvoir. »

Cette évolution systémique touche de plein fouet les institutions médiatiques ; hier il fallait dénicher l’information, le « scoop », aujourd’hui il faut faire du journalisme d’investigation, ou même du data journalisme. La chasse au scoop a perdu son lustre d’antan, et elle est désormais associée aux feuilles de chou à scandales, aux magazines people et à leurs paparazzi ou, dans le meilleur des cas, à des sites comme wikileaks. Les journalistes héros de grandes sagas se font rares, l’époque des Tintin, Rouletabille et autres Borowicz  semble révolue. Le web digère, liquéfie, distribue et archive désormais toute la connaissance humaine.

La digitalisation – horizontale avec la démocratisation de l’accès, verticale avec la connexion incrémentale de toutes les sphères de notre quotidien – est le principal moteur de cette production effrénée de données, qui va inexorablement conduire à l’émergence de nouvelles batailles, dont certaines sont déjà bien amorcées, notamment celle du stockage. Techniquement, le Cloud Computing semble être une solution consensuelle, mais elle ne peut être que provisoire en ce qu’elle ne résout pas le problème des data centers, de plus en plus imposants, énergivores et générateurs de chaleurs. Sur le plan de la protection des données personnelles, le conflit est d’autant plus complexe qu’il implique et oppose des perceptions imprégnées de différences culturelles, des Etats au pouvoir par essence régionalisé, des institutions internationales à la puissance coercitive limitée et des multinationales et lobbies à l’influence globale. Enfin, la dernière zone d’indécision porte sur les métiers qui vont pouvoir se partager le gâteau de la valeur ajoutée de l’exploitation des données. Il semble à ce jour que les acteurs les plus à même de prétendre à une part sont les SSII, les agences media, les cabinets de conseil ou encore les start-ups spécialisées. Ce qui fait beaucoup de monde sur un gâteau dont on ne connaît vraiment ni la taille ni les ingrédients. Ni la recette miracle.

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27 octobre 2011

Les DSP, retour vers le futur ?

Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, puisque cette époque remonte à avant la Loi Sapin (1993). 

Cette date rime pour les publicitaires avec la fin de l’eldorado, par l’instauration de la transparence dans les transactions. Autant dire que cela sentait le sapin pour les agences media qui durent faire flèche de tout bois pour réinventer leur business model et ne pas être reléguées au rang de simples call centers.

En effet la principale raison d’être des agences était alors d’acheter de l’espace publicitaire en gros et de le revendre à leurs clients, sans omettre de s’octroyer au passage une marge substantielle de façon totalement opaque. Plus d’opacité, plus de marges, remise en question du business model dans son ensemble. Heureusement pour elles, les agences media n’ont pas manqué le train de l’histoire.

Accompagnant les bouleversements sociologiques (post individualisme) et technologiques (essor d’Internet, lancement des smartphones et tablettes) qui ont considérablement distordu et complexifié le paysage médiatique, en le digitalisant, fragmentant et délinéarisant, les agences inventèrent une nouvelle forme de conseil axé sur les medias. Ce changement de métier a été l’occasion de développer les compétences et l’expertise proposées et de tirer ainsi toute la profession vers le haut.

Bel exemple de résilience donc, mis à mal par le spectre d’un développement technologique, sorte de Delorean des medias, qui nous ramènerait des années en arrière. Avec les Demand Side Platforms (DSP), nul besoin de conseil, ou de quelque intelligence humaine ; les agences, comme au bon vieux temps d’avant Sapin, achètent de l’inventaire en gros aux régies Internet et, par extension aux régies des autres media. Une technologie de ciblage est utilisée pour justifier la valeur ajoutée par l’agence. Le problème c’est qu’en France, la législation impose d’identifier le mandat sous lequel l’agence agit du début à la fin de la chaîne de valeur. Quelques obstacles judiciaires se dressent encore sur la route de la déclinaison hexagonale des DSP, et offrent  un court répit au modèle réinventé des agences media. 2012 verra-t-il la fin du conseil media ?

3 janvier 2010

Coups de Google

Avez-vous, au moins une fois, rien qu’une fois, mû par une poussée de narcissisme, cherché à vous mirer dans le regard numérique des autres ?  Vous êtes-vous déjà attardé, au hasard d’un moment d’oisiveté, au gré de vos pérégrinations digitales, à vous adonner à cette étrange activité, à cet exercice fascinant ? N’avez-vous jamais été pris de cet accès de curiosité ? De découvrir, peut-être, cet autre vous, avatar potentiel, qui écume le réseau en votre nom ? Ce flux d’informations incontrôlé qui nourrit l’appétit insatiable de la toile ? Vous êtes-vous déjà, en un mot, « googlisé » ?

Googliser. Le mot est en passe de devenir un verbe officiel, il se fait une place au panthéon des néologismes technologiques, son entrée dans le dictionnaire ne fait plus guère de doute. De quoi faire monter au créneau tout ce que le pays compte de pourfendeurs d’anglicismes et autres défenseurs acharnés de notre sacro-sainte langue française. D’autant qu’un paradoxe substantiel réside en ce non-évènement, puisqu’un synonyme anachronique, partiel et quelque peu réducteur de googliser pourrait n’être autre que « chercher dans le dictionnaire ». Le dictionnaire introniserait ainsi l’instrument de sa propre fin ?

Passons sur cette ironie du sort. Le temps n'est déjà plus aux tergiversations sur les déboires sémantiques encourus par le recueil normatif de nos écarts de langage. La rapidité de la gestation de l’antonomase brandit l’étendard du succès fulgurant de la marque, et au-delà, de la démocratisation du concept et de toutes les conséquences qui empreignent le quotidien de nos vies d’internautes plus ou moins assidus.

Véritable révolution du rapport à la Connaissance, Google met à portée de tous le savoir humain dans toute son immensité et sa diversité. Tout un chacun, pour peu qu’il soit en mesure de s’offrir une connexion à domicile ou juste de se faire fournir l’accès à Internet de façon plus sporadique,  devient de plus en plus égal devant la diffusion de la connaissance, à mesure que la fracture numérique se réduit.

Cette nouvelle universalité est un formidable coup de pouce à l’égalité de la Société (en) Général(e). Les individus peuvent dorénavant exprimer leur réel potentiel intellectuel indépendamment de tout déterminisme social, puisque la différenciation se fait désormais au niveau des seules idées. Prime à la créativité, au foisonnement spirituel, aux débordements de l’imagination nés de ce bouillonnement culturel d’un nouveau genre.

Tout le monde peut maintenant apporter sa pierre à l’édifice de la sagesse universelle ! Il suffit pour cela de contribuer, d’intégrer le fameux web 2.0.  Système qui, au passage, se prête facilement à la comparaison à une sorte de (e)communisme qui aurait enfin vu le jour, débarrassé de tous les effets pervers inhérents à la lutte des classes. Tout s’y partage, rien ne s’y paie, la propriété (intellectuelle) y est pratiquement abolie, tout le monde participe à l’effort collectif.

Les deux gentils nerds de Standford University, Larry Page et Sergey Brin ont donc largement participé à la création, bien au-delà de leur première intention de faciliter la recherche d’information, d’un nouveau modèle technologique, culturel et social dans sa globalité.

Cependant, la rançon d’un tel succès existe, même si elle reste pour l’instant à l’état de simples hypothèses. Il paraît en effet peu probable que des effets indésirables et gênants ne se manifestent pas. Vous savez, ceux qu’on omet volontairement, sous peine de paranoïa, de lire lorsqu’on est contraint d’avaler quelque médicament.

Sauf que dans le cas de la googlisation de notre société, les effets sont moins flagrants, moins tangibles. Ils se font sentir à plus long terme. Et surtout, il n’y a pas d’obligation juridique de faire figurer sur la notice d’éventuelles mentions légales, du genre:

« Respectez la posologie, un usage trop intense peut provoquer un sentiment de dépendance et des dysfonctionnements conséquentes des mécaniques du cerveau. »

« Une sur-utilisation pourra éventuellement entraîner une diminution importante des capacités mémorielles, accompagnée dans certains cas très rares d’une atrophie irréversible du bulbe rachidien. »

En effet, le moteur de recherche n’est pas seulement un « bien complémentaire » au cerveau, une intelligence auxiliaire, un réacteur de secours actionné seulement en cas de besoin. Utilisé à l’excès, Google pourrait fort aisément se transformer en un « bien substituable », tant son omniprésence dans toute démarche intellectuelle l’a rendu peu à peu indispensable à notre réflexion. Cette externalisation latente de notre matière grise dessine les contours d’un risque d’un genre nouveau : la détérioration des facultés intellectuelles du genre humain par leur désincarnation, sorte de « Cloud braining », par analogie avec le Cloud Computing qui permet d’utiliser les capacités illimitées de dématérialisation d’Internet pour stocker des quantités infinies de données dans un coin de la nébuleuse numérique.  Elle s’accompagne d’ailleurs de son corollaire anti-progressiste, à savoir la résurgence d’une crainte irrationnelle promue par Prométhée, le renversement du rapport de forces entre l’Homme et la machine.

La machine, dans la littérature et le cinéma d’anticipation, est toujours représentée par quelque incarnation physique monstrueuse, tels Frankenstein ou autre Terminator. Mais dans le cas qui fait ici l'objet de notre attention, le danger identifié par Hans Jonas lorsqu’il affirme "la promesse de la technique moderne s'est inversée en menace" est bien moins palpable et plus imprécis, puisqu’il s’agit d’une sorte d’algorithme mutant.

Google, la marque, hégémonique sur presque l’ensemble du globe, semble au dessus de toutes les lois contre la concentration et détient un contrôle de la connaissance sans précédent. Si l’on se fonde sur le paradigme énoncé par le philosophe britannique Francis Bacon, « la connaissance est en elle-même puissance», le simple moteur de recherche mis au point par deux étudiants de Standford serait devenu le gardien d’un trésor inestimable, synonyme d’une puissance aux limites inconnues, pendant systématique de son efficacité au service de la démocratisation du savoir.

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